la donation d'usufruit temporaire est-elle une stratégie sécurisée

L’administration fiscale a publié, fin janvier 2020 ses commentaires quant au mini abus de droit ; fin janvier 2020 (BOI-CF-IOR-30-20-20200131).

Pour rappel, les actes que l’administration peut écarter en application de la procédure d’abus de droit prévue à l’article L. 64 A du LPF sont des actes écrits ou non qui manifeste l’intention de son auteur et produit des effets de droit.

Pour être écarté sur le fondement de l’article L. 64 A du LPF, l’acte doit rechercher le bénéfice d’une application littérale de textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs.

L’administration doit en outre démontrer que cet acte a pour motif principal d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés.

L’administration applique ces principes à la célèbre stratégie de donation d’usufruit temporaire.
Pour rappel, cette stratégie consiste à constituer sur la tête d’un enfant majeur non rattaché au foyer fiscal, un usufruit pour une durée fixe, normalement inférieur à 10ans, portant sur un bien frugifère.

Le montage présente des effets fiscaux intéressants : les revenus n’ont plus à être déclarés par le constituant puisqu’il ne possède plus le droit de les recevoir et l’immeuble n’est plus taxable à l’IFI puisqu’en cas de démembrement de propriété, c’est en principe l’usufruitier (c’est-à-dire l’enfant en l’espèce) qui est redevable de cet impôt).

En raison de ces avantages (pour les inconvénients de cette stratégie, je vous recommande la lecture de mon ouvrage, les grandes stratégies fondées sur le démembrement de propriété, Ed. JurisCampus 2020), le risque d’abus de droit ne peut pas être écarté.

En application de l’article L. 64 du LPF (procédure d’abus de droit classique, pour simulation ou pour recherche d’un but exclusivement fiscal), l’abus de droit pu être retenu dans des hypothèses particulières, en particulier lorsque le bien démembré générait plus de charges que de produits (exemple, Affaire n° 2004-42 Comité d’abus de droit Avis favorable).

Compte tenu des avantages fiscaux, attachés à cette stratégie, celle-ci peut-elle échapper à l’abus de droit pour but principalement fiscal ?

La lecture du BOFIP, de prime abord, semble sécuriser l’opération.
Voici littéralement la partie du Bofip consacrée à cette stratégie
« La notion de motif principal est, en tant que telle, plus large que la notion de but exclusivement fiscal au sens de l’article L. 64 du LPF.»

D’après les débats parlementaires, les dispositions de l’article L. 64 A du LPF ont à cet égard pour objectif d’étendre les dispositions anti-abus concernant l’impôt sur les sociétés prévues à l’article 205 A du CGI à l’ensemble de la fiscalité.

Ces dispositions ne visent que les actes ou montages dépourvus de substance économique.
Ainsi les commentaires du BOI-IS-BASE-70 précisant les montages visés par la clause anti-abus générale sont applicables à ceux touchant les autres impôts.

L’article L. 64 A du LPF ne s’applique pas dans tous les cas où l’abus peut être caractérisé sur le fondement de l’article L. 64 du LPF c’est-à-dire lorsque les effets économiques (patrimoniaux, commerciaux…) sont nuls ou négligeables.

La combinaison des deux conditions légales conduit à ne pas appliquer la procédure d’abus de droit prévue à l’article L. 64 A du LPF aux actes dont le but essentiel est l’obtention d’un avantage fiscal sans aller à l’encontre de l’objet ou de la finalité du droit fiscal applicable.

Il en résulte donc clairement :

– Que l’Administration ne peut redresser que s’il elle établit que les deux conditions sont réunies.
– Le contribuable conserve le choix de l’opération qui lui est la plus favorable : par exemple si un redevable veut à la fois céder un bien et anticiper la transmission, il peut déci der librement du choix de l’ordre de ses opérations : donation/cession
– L’abus de droit principalement fiscal concerne essentiellement des actes « qui ne sont dotés d’aucune substance économique ;
Lorsque c’est le législateur qui a souhaité encourager un schéma par une incitation fiscale, l’article L. 64 A du LPF ne peut en principe s’appliquer, quand bien même ce schéma aurait un but principalement fiscal, à condition qu’il ne soit pas manifestement détourné de son objet.

Exemple 1 : La donation d’usufruit temporaire au profit d’un enfant majeur qui ne fait pas partie du foyer fiscal du donateur, procure certes une économie d’impôt sur la fortune immobilière, qui peut être substantielle, mais qui n’est pas abusive si elle est justifiée par la volonté d’aider l’enfant majeur à financer ses études en lui permettant d’occuper le logement ou de percevoir les revenus locatifs du bien transmis. Le caractère temporaire d’une transmission de l’usufruit, n’est pas en soi abusif dès lors qu’il est doté d’une substance patrimoniale effective et ne prévoit pas de clauses manifestement abusives (telle qu’une donation librement révocable par le donateur).

Que penser de ce développement ?

Rappelons que l’administration avait déjà précisé que « En ce qui concerne la crainte exprimée d’une remise en cause des démembrements de propriété, la nouvelle définition de l’abus de droit ne remet pas en cause les transmissions anticipées de patrimoine, notamment celles pour lesquelles le donateur se réserve l’usufruit du bien transmis, sous réserve bien entendu que les transmissions concernées ne soient pas fictives.

En effet, la loi fiscale elle-même encourage les transmissions anticipées de patrimoine entre générations parce qu’elles permettent de bien préparer les successions, notamment d’entreprises, et qu’elles sont un moyen de faciliter la solidarité intergénérationnelle » (Communiqué de presse sur l’abus de droit fiscal, n°568, 19 janvier 2019)

Cependant, nous ne sommes pas ici dans ce cas de figure, l’opération ne réalisant aucune transmission.

Pour l’administration, même si cette opération permet une importante économie d’IFI, une telle donation n’est pas abusive si elle est justifiée par l’objectif d’aider le donataire à financer ses études.

C’est bien cette précision qui pose à notre sens difficulté, car la structure même de l’opération ne permet pas de considérer que celle-ci à un tel objectif.

En effet, la durée de la constitution d’usufruit va être en pratique déterminée non par le besoin de l’enfant, mais par le coût fiscal de l’opération. Celle-ci est en effet traitée comme une donation indirecte taxable sur une base égale à 23 % de la valeur vénale du bien par durée de 10 ans. Autant dire que pour que la base soit supérieure aux revenus dont disposera effectivement l’enfant, il faut que la durée soit la plus proche des 10 ans.

En d’autres termes, lorsque la durée de la constitution et le montant des revenus que procure l’usufruit sont déconnectés des besoins, il semble difficile de considérer que l’opération a pour objectif d’aider le donataire…
La prudence s’impose donc, malgré les précisions apportées par l’administration fiscale.

Par Michel Leroy – Mars 2020

Mots clefs

Abus de droit principalement fiscal – Donations d’usufruit temporaire – Position du BOFIP

Thématique

Fiscalité

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