Le statut de l'entrepreneur individuel

La principale innovation de la loi du 14 février 2022 réside dans la mise en œuvre, depuis le 15 mai 2022, d’un nouveau statut de l’entrepreneur individuel (« L’entrepreneur individuel est une personne physique qui exerce en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes : C. com. Art. L. 526-22)»., qui se distingue de l’EIRL sur plusieurs points important (Il n’est plus possible d’opter pour l’EIRL depuis l’application de la loi).
1) D’abord, la séparation de patrimoine est de plein droit là où la loi relative à l’EIRL exprimait l’idée d’une option. En d’autres termes, le patrimoine professionnel est ainsi un patrimoine d’affectation subi et non choisi. Dans son principe et son contenu puisque la délimitation entre les deux patrimoines ne dépend désormais plus d’une déclaration, mais d’un critère légal lié à l’utilité des biens, droits et obligations.
2) Ensuite, l’entrepreneur individuel est doté d’un unique patrimoine « professionnel », quel que soit le nombre d’activités exercées par la personne, là où il était possible d’en constituer plusieurs dans le cadre de l’EIRL.

3) Le patrimoine d’affectation est un patrimoine dont la loi affirme clairement la transmission à titre onéreux ( par exemple par apport à une société) ou même à titre gratuit. Le transfert est universel car le patrimoine est indivisible et la transmission porte sur le patrimoine lui-même, mais il n’exclut pas la possibilité d’une cession non par partielle du patrimoine mais portant sur des éléments du patrimoine.

4) Sauf mention particulière, le droit de gage des créanciers porte sur l’ensemble du patrimoine de l’entrepreneur individuel (personnel et professionnel), à l’exception de la résidence principale (C. com., art. L. 526-1). « La distinction des patrimoines personnel et professionnel de l’entrepreneur individuel ne l’autorise pas à se porter caution en garantie d’une dette dont il est débiteur principal » . Alors que la possibilité d’un tel auto-cautionnement était discutée pour l’Eirl.

La loi se justifie en raison de l’échec de l’EIRL (Moins de 100 000 EIRL en juin 2021) et des difficultés d’application de ce régime. On pouvait donc espérer que le législateur ne s’inscrive pas dans cette dégradation progressive de l’offre de la loi.
Or ce n’est pas le cas.
Les difficultés commencent dès la définition du périmètre des deux patrimoines.
« Les biens, droits, obligations et sûretés dont il est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes constituent le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel. Sous réserve du livre VI du présent code [« Des difficultés des entreprises »], ce patrimoine ne peut être scindé. Les éléments du patrimoine de l’entrepreneur individuel non compris dans le patrimoine professionnel constituent son patrimoine personnel ». Art. L. 526-22, al. 2
En effet, en l’absence d’option, il n’y a de système de déclaration mais une affectation automatique.
La difficulté du texte ne réside pas dans le début de la formule, laquelle est classique : elle était déjà celle de l’EIRL et de la fiducie.

La notion d’utilité détermine l’affectation du bien et donc les conséquences qui en résultent en termes de saisie.
Problème : pour l’EIRL, la notion retenue pour l’obligation d’affectation est celle de nécessité. Et non d’utilité. La différence est importante. Tous les biens pourront a priori passer d’un patrimoine à l’autre, selon qu’ils sont considérés comme utiles ou non à l’activité, alors que pour l’EIRL, le bien nécessaire était automatiquement un actif du patrimoine professionnel.
L’article R. 526-26 issu du Décret n° 2022-725 du 28 avril 2022 précise que « [l]es biens, droits, obligations et sûretés dont l’entrepreneur individuel est titulaire, utiles à l’activité professionnelle, s’entendent de ceux qui, par nature, par destination ou en fonction de leur objet, servent à cette activité».
La formule retenue est intéressante en ce qu’elle retient une notion mixte de l’utilité, à la fois objective (par la référence à la nature du bien) et subjective, (la notion de service de l’activité).
Ajoutons encore que lorsque l’entrepreneur individuel est tenu à des obligations comptables, son patrimoine professionnel est présumé comprendre au moins l’ensemble des éléments enregistrés au titre des documents comptables
Le patrimoine personnel est insaisissable par les créanciers professionnels, c’est-à-dire ceux dont la créance est née à l’occasion de l’exercice de l’activité professionnelle. « Sauf sûretés conventionnelles ou renonciation dans les conditions prévues à l’article L. 526-25 » (L. 526-22, al. 4).
La renonciation suit un formalisme particulier et doit être exprimée pour un engagement spécifique dont le terme et le montant, déterminé ou déterminable doit être précisée ;
La faculté de renoncer au cantonnement est prévue au bénéfice des seuls créanciers professionnels.

II – Jurisprudence
a) Revendication de la qualité d’associé et affectio societatis
La Cour de cassation a rendu récemment un arrêt qui mérite de retenir l’attention selon lequel : « l’affectio societatis n’est pas une condition requise pour la revendication, par un époux, de la qualité d’associé sur le fondement de l’article 1832-2 du code civil ». Cass. Com, 21 septembre 2022, 19-26.203, Publié au bulletin
Incontestablement, l’affirmation exprimée par la Cour de cassation est de nature à surprendre en raison de l’importance de l’affectio societatis. Il est à noter qu’en l’espèce, l’affaire est celle d’un divorce. L’époux avait déposé une requête en divorce le 27 décembre 2006 ; divorce prononcé judiciairement le 7 avril 2009 par le tribunal de grande instance de Marseille. C’est donc pendant la procédure de divorce que l’époux a revendiqué en 2007 la qualité d’associé. Il est évident qu’il n’avait pas l’intention de collaborer avec son épouse !
Or, depuis toujours la Cour de cassation précise que le conjoint peut, jusqu’au prononcé du divorce passé en force de chose jugée, exercer cette faculté (Com. 18 nov. 1997, n° 95-16.371 P. Flaugnatti c/ Technibat (Sté), D. 1998. 394 , obs. J.-C. Hallouin ; ibid. 1999. 238, obs. V. Brémond ; RTD civ. 1998. 889, obs. J. Hauser ; BJS 1998. 221, note J. Derruppé ; 14 mai 2013, n° 12-18.103 P, D. 2013. 1270 ; ibid. 2729, obs. J.-C. Hallouin, E. Lamazerolles et A. Rabreau ; ibid. 2014. 689, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ fam. 2013. 375, obs. J.-F. Desbuquois; RTD com. 2013. 52).
L’article 1832-2, applicable jusqu’à cette date, exclut nécessairement un affectio sociétatis entendu comme une volonté de collaborer ensemble….
Donc cet arrêt n’a au final rien d’original, en dehors de sa formulation qui tire les conséquences des positions antérieures de la Cour régulatrice.

b) Donation de la nue-propriété de la résidence principale et article 215
La Cour de cassation a rappelé en juin (Cass. 1ère civ., 22 juin 2022, n° 20-20.387) que la donation de la nue-propriété de la résidence principale par l’époux seul propriétaire ne porte pas atteinte à l’usage et à la jouissance du logement familial par l’autre conjoint pendant le mariage.
La donation en nue-propriété sans stipulation d’usufruit successif prive donc l’époux survivant de son droit viager au logement.
La Cour de cassation a rappelé en juin (Cass. 1ère civ., 22 juin 2022, n° 20-20.387) que la donation de la nue-propriété de la résidence principale par l’époux seul propriétaire ne porte pas atteinte à l’usage et à la jouissance du logement familial par l’autre conjoint pendant le mariage.
La donation en nue-propriété sans stipulation d’usufruit successif prive donc l’époux survivant de son droit viager au logement car le but de l’article 215 n’est pas de sécuriser le droit viager au logement. Et le droit de disposer d’un bien est un droit fondamental du propriétaire

c) Enrichissement sans contrepartie de la société, qui est donataire ?
Pour la Cour d’appel d’orléans (CA Orléans, Chambre civile, 12 Septembre 2022 – n° 19/03892), l’abandon de compte courant par un parent qui n’était plus associé lors de cette renonciation ne constitue pas une donation rapportable à sa succession, alors que l’opération favorise les enfants associés, au motif que « cet abandon de compte courant ne profitait pas à M. [S] [G], mais à tous les associés de la société, dont [I] [G]. Les conditions d’application de l’article 843 du code civil n’étant pas réunies, il convient d’infirmer la décision et dire n’y avoir lieu à rapport ».
Et selon la Cour d’appel de Versailles, (Cour d’appel, Versailles, 1re chambre, 1re section, 29 Mars 2022 – n° 21/00470) , la société peut être considérée comme donataire.
Dans cette affaire, le 15 octobre 2014, Arlette C. a procédé au rachat partiel d’un contrat d’assurance-vie (106 150,46 €), et fait virer cette somme à l’ordre de la société Axa Banque, en règlement d’un prêt accordé par celle-ci à la société civile professionnelle (SCP) Johar, qui avait alors pour associés sa fille, Mme Claudine C., et son petit-fils, M. John C..
Arlette C. est décédée le 26 juillet 2015. Précision : au moment des faits celle-ci n’était plus associée.
Considérant qu’elle avait, par ce virement, effectué une donation indirecte au profit de la société Johar, le directeur régional des finances publiques d’Ile-de-France et du département de Paris a notifié à cette dernière, le 23 novembre 2017, un rappel de droits de mutation à titre gratuit, assorti d’intérêts de retard et d’une majoration de 40 % motivée par le caractère délibéré du manquement, pour un montant total de 98 503 euros.
Pour les premiers juges, seule la société était bénéficiaire du transfert de fonds opéré par Arlette C., à l’exclusion de sa fille et de son petit-fils, associés de la société. Et c’est par d’exacts motifs que le tribunal a retenu cela, puisque la société a seule bénéficié du remboursement de l’emprunt souscrit auprès de la société Axa Banque, remboursement qui a diminué son passif, sans qu’aucune contrepartie n’ait été versée à l’auteur du remboursement.
Analyse confirmée par la Cour d’appel
1) L’appauvrissement de l’ascendante est incontestable, en particulier parce qu’elle n’était pas associée au moment de l’acte et qu’elle n’a pas reçu aucune contrepartie.
2) La société ne s’est pas opposée au remboursement de ce prêt, elle n’a pas cherché à rembourser la donatrice ou à lui verser une contrepartie

Pourquoi citer ces arrêts ? Tout simplement pour se souvenir que la question de la qualification de ces différentes opérations enrichissant sans contrepartie une société dotée de la personnalité juridique n’est pas certaine. Il ne faut pas penser que la position exprimée par la Cour de cassation le 24 janvier 2018 tranche la difficulté dans l’ensemble des cas (Cass. 1re civ., 24 janv. 2018, n° 17-13.017 : « En cas de donation faite par le défunt à l’héritier par interposition d’une société dont ce dernier est associé, le rapport est dû à la succession en proportion du capital qu’il détient »).
L’affaire tranchée en 2018 était en effet très particulière :
a) Une intention libérale au profit de l’enfant exprimée par testament
b) Une société créée et contrôlée par l’enfant (90 % des titres)

 

Par Michel Leroy – Novembre 2022

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Statut – Entrepreneur individuel

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