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La perspective de pouvoir bénéficier, au décès d’une personne proche, de sommes importantes délivrées rapidement peut inciter certaines personnes à influencer l’assuré, dans le déclin de son existence, de façon à lui faire modifier une clause bénéficiaire dans un sens favorable à ce projet ; voire si une telle influence n’est pas possible ou suffisante, celles-ci peuvent céder à la tentation de rédiger elles-mêmes l’avenant, promesse d’un avenir matériellement plus riant.
Que peut faire l’héritier, qui se savait bénéficiaire et qui au décès de son parent constate que l’assurance vie est attribuée à une personne dont il doute fortement qu’elle ait été volontairement gratifiée ?
Sans doute, il peut saisir le juge compétent afin de faire établir qu’il est le véritable bénéficiaire de la garantie et à cette fin solliciter une expertise en écriture afin de pouvoir obtenir la nullité de la désignation litigieuse.

Cependant une telle mesure ne peut être ordonnée que si elle permet effectivement au demandeur d’obtenir gain de cause.
Dans une affaire récente (Paris, 28 mai 2021, n° 20/15843), le défendeur prétendait qu’une telle expertise était parfaitement inutile. Il s’agissait en l’espèce d’un litige opposant le légataire universel du défunt, désigné bénéficiaire de la garantie décès par un avenant à la régularité incontestable et le légataire des avoirs bancaires de la défunte, ultérieurement désigné, par l’avenant contesté, comme le seul bénéficiaire de la garantie décès.

Pour ce dernier, en effet, le juge ne pouvait pas accueillir la demande d’expertise, car la preuve de l’existence d’un faux en écriture privée ne permettrait pas au demandeur de bénéficier de la garantie décès. En effet, « le testament de l’assuré le désignait en qualité de légataire à titre particulier, donc de bénéficiaire du capital de l’assurance-vie ».

C’est évidemment une analyse doublement erronée :

  • D’abord, l’annulation de l’avenant prive d’effet la révocation de la désignation antérieure. Or, celle-ci désignait le légataire universel. C’est en exécution de la stipulation pour autrui et non des règles successorales que celui-ci a vocation à recevoir la garantie.
  • Ensuite, à admettre même que l’assuré ait souhaité la révocation de la désignation antérieure, par application de l’article L. 132-11 du Code des assurances, le bénéfice tombe dans sa succession. Et c’est encore le légataire universel qui aurait alors vocation à recevoir la garantie, et non le légataire particulier, ce bénéfice ne pouvant être qualifié d’avoir bancaire.

C’est donc à juste titre que la Cour d’appel a accueilli favorablement la demande d’expertise judiciaire. Le demandeur est-il cependant au bout de ses peines ?
Non malheureusement.

En effet, en l’espèce, la compagnie d’assurance avait déjà versé la garantie entre les mains du légataire sur la foi du dernier avenant.
Même si le faux en écriture privée est établi, le légataire universel ne pourra pas demander à l’assureur de lui verser la somme correspondant à la garantie. En effet, aux termes de l’article L. 132-25 du Code des assurances, l’assureur est libéré de tout engagement lorsqu’il a payé de bonne foi.

Or, l’assureur n’est pas tenu de vérifier, lorsqu’aucun élément ne lui permet de douter de la régularité de l’acte d’avenant, la réalité du consentement de l’assuré. C’est une contrepartie logique à la liberté de choix de l’acte opérant la désignation bénéficiaire. Celle-ci peut être effectuée hors la présence de l’assureur.

Dans un arrêt récent (Cass. civ. 1re, 31 mars 2021, n°20-14.312), la Cour de cassation a pu juger qu’est de bonne foi l’assureur qui délivre la garantie entre les mains d’un couple, désigné en qualité de bénéficiaires par trois écrits successifs, alors que l’écrit ultérieur désignant la sœur de l’assuré comme bénéficiaire n’avait pas été régularisé par le contractant et lui a été retourné avec la mention manuscrite indiquant son choix définitif (du couple)… comme bénéficiaire, suivi de sa signature, sans qu’aucun élément puisse attirer son attention sur l’authenticité de ces documents.

Et ceci aux motifs que l’assuré ne bénéficiait d’aucune mesure de protection juridique, de sorte que l’assureur ne disposait d’aucun élément objectif lui permettant de ne pas tenir compte des demandes successives de modification de la clause bénéficiaire du contrat d’assurance sur la vie.

L’infortuné héritier n’est pas privé de recours. En effet, s’il est établi que la clause manuscrite est un faux en écriture privée, celle-ci pourra se retourner contre le bénéficiaire apparent pour obtenir restitution, sur le fondement de la répartition de l’indu (Cass. 2e civ., 13 juin 2019, n° 18-14.954).

C’est évidemment moins intéressant qu’un recours contre une compagnie d’assurance. Une personne qui imite la signature d’une autre pour encaisser les fonds de l’assurance vie à déjà sans doute anticipé une telle possibilité et organisé son insolvabilité.

Par Michel Leroy – Juin 2021

Mots clefs

Garantie décès – avenants successifs – faux en écriture – mesure d’expertise – bonne foi de l’assureur – absence de mesure de protection

Thématique

Assurance vie

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