Sans révolutionner la matière, deux arrêts récents méritent d’être relevés, soit que leur motivation permet de rappeler des règles importantes, soit qu’elle éclaire une difficulté que soulève l’existence de cette charge sr la propriété d’autrui.

Le 10 septembre 2020, la troisième chambre civile de la Cour de cassation (Cass. 3e civ., 10 sept. 2020, no 19-10885,), a rendu un arrêt intéressant sur une problématique originale. En l’espèce, un terrain détenu par une société civile ne disposait d’aucun accès suffisant sur la voie publique. Le dirigeant de la société demanda aux propriétaires d’un fonds voisin la création d’une servitude de passage.
Or, l’un des associés était par ailleurs usufruitier d’un autre fonds qui pouvait également fournir, selon les propriétaires du terrain voisin, un accès à la voie publique ; pour eux, c’est ce fonds qui devait constituer le fonds servant ;
Pour la Cour de cassation, « Un fonds n’est pas enclavé, au sens de l’article 682 du Code civil, dès lors que son propriétaire est usufruitier d’un fonds qui le sépare de la voie publique et qui dispose d’une issue sur celle-ci ».
Cette motivation de prime abord semble logique ;
La situation de terrain enclavé fait naitre une servitude de passage à la charge d’un fonds permettant l’accès. Aux termes de l’article 683 du Code civil, « le passage doit régulièrement être pris du côté où le trajet est le plus court du fonds enclavé à la voie publique. Néanmoins, il doit être fixé dans l’endroit le moins dommageable à celui sur le fonds duquel il est accordé ».
Cependant, si le propriétaire du fonds sans accès à la voie publique à également la jouissance d’un terrain qui peut lui fournir cet accès, le terrain n’est pas juridiquement considéré enclavé tant que cette situation dure. Si donc le propriétaire du fonds sans accès est usufruitier du terrain qui permettra le passage, il ne dispose sur celui-ci que d’un droit viager. Il en résulte par conséquent que le terrain dont l’usufruitier est propriétaire n’est pas en droit considéré comme enclavé pendant la durée de l’usufruit. Il recouvre à nouveau cette qualité à l’extinction de ce droit de jouissance.
Mais en l’espèce, c’est l’associé et non la société elle-même qui revêtait la qualité d’usufruitier.
Or, pour la Cour de cassation, « La cour d’appel a relevé que le fonds de la société JLA ne disposait pas d’un accès direct à la voie publique, mais qu’il était contigu d’une parcelle qui en bénéficiait et sur laquelle un des associés de cette société était titulaire d’un droit d’usufruit.
Il en résulte que la société JLA n’est pas fondée à réclamer un droit de passage sur le fonds des consorts F…. ».
Cette motivation interroge.
La qualité d’associé n’impose pas à celui-ci d’affecter sa jouissance du terrain connexe à celui appartenant à la société au besoin de celle-ci. Faut-il considérer que la solution s’explique par la défense de l’intérêt social ? Ou parce qu’il exercerait en l’espèce le contrôle de la société ce qui le placerait dans une situation proche de l’hypothèse précédente ? Mais à entendre littéralement cette motivation, tout associée, dirigeant ou non, majoritaire ou non, doit permettre à la société propriétaire du fonds enclavé, l’accès à la voie publique au sens de l’article 682 du Code civil.
L’assimilation de l’usufruitier à la personne morale de la société nous semble critiquable et elle s’inscrit dans une tendance dans la juridiction civile, à occulter les effets de la réalité de la personne morale.

Mots clefs

Servitude – Usufruit – Société civile

Thématique

Droit des biens

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