Donations : à propos de l’intention libérale

1° Pas de donation sans preuve de l’intention libérale

Les relations patrimoniales pouvant exister entre ascendants et descendants et matérialisées par diverses opérations (virements bancaires, logement à titre gratuit, etc..) sont susceptibles d’envenimer les relations entre les héritiers après le décès de l’auteur de ces actes.

Classiquement, la situation se présente de la manière suivante : l’enfant ou les descendants qui n’ont pas bénéficié de ces avantages exigent leur prise en compte dans le traitement liquidatif, afin de rétablir l’égalité rompue selon eux par de tels actes.

Leur prétention ne peut cependant aboutir qu’à la condition de qualifier les actes en cause de donation.

Or, cette qualification suppose non seulement d’établir le dépouillement de son auteur, mais également l’intention libérale (Pour l’occupation d’un logement par un enfant, sans contrepartie, V. Cass. civ. 1re, 16 déc. 2020, n° 19-18.472 : « Pour dire que Mme B… doit rapporter à la succession une indemnité d’occupation, l’arrêt retient qu’elle occupe privativement l’appartement de Compiègne depuis 1986 et n’est pas en mesure de justifier du paiement d’un loyer à son père, par les quelques quittances produites, que pour les années 2003 et 2004 ainsi que 2007 et 2008.
En se déterminant ainsi, sans constater, comme il le lui incombait, l’intention libérale du donateur, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».

Et cette preuve n’est pas simple à établir comme le rappelle l’arrêt rendu par la première chambre civile du 10 février 2021 (Cass. civ. 1re, 10 févr. 2021, n°19-20.026).
Dans cette affaire, un enfant a été aidé par ses parents pour le financement d’acquisitions immobilières.
Au décès de l’ascendant, les autres enfants firent valoir l’existence d’une donation rapportable. Analyse reprise par la Cour d’appel saisie du litige, selon laquelle l’enfant « n’avait pas les capacités financières nécessaires et a été aidée par ses parents ».
Cette motivation est logiquement cassée par la Cour de cassation : « En statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui incombait, si les parents de Mme P… avaient ou non agi dans une intention libérale, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ».
La solution est à comparer un celle d’un arrêt également récent (Cass. civ. 1re, 27 janv. 2021, n°19-17.793)
Pour la Cour de cassation, « ayant observé qu’en dépit des termes de la reconnaissance de dette établie par M. A… B… le 31 janvier 2006 pour un prêt de 115 000 euros consenti par son père, qui prévoyaient un remboursement en sept annuités avec intérêts au taux de 2,5 % par an, celui-ci n’avait jamais été remboursé, et mis en évidence le lien de filiation unissant les parties, l’âge atteint par V… B… et les difficultés financières éprouvées par son fils, la cour d’appel a pu en déduire qu’V… B… avait manifesté de manière non équivoque sa volonté de renoncer au remboursement du prêt et son intention libérale ».

La preuve de l’intention libérale est une question de fait. La différence entre les deux espèces tient à ce que dans celle ayant donné lieu à l’arrêt du 27 janvier, un acte avait formulé une obligation de remboursement laquelle ne fut jamais honoré, et c’est bien cette renonciation à l’exécution de l’acte qui constitue la preuve de la donation.

2° Apport à prix minoré et intention libérale

Le capital société d’une SARL était détenu par deux associés. Ceux-ci anticipèrent le départ de l’un d’entre eux par la constitution par l’associé restant d’une Holding, à laquelle il apporta ses parts pour une valeur de 500 000 € ; par la suite, l’associé partant céda ses propres titres pour un prix de.. 1 937 400 €. L’écart de valeur entre ces deux cessions ne pouvait qu’émouvoir l’administration fiscale pour laquelle celui-ci révélait au moment de l’apport une libéralité.

En effet, Un apport en société ne déclenche en principe aucune imposition IS pour la société bénéficiaire, car il ne s’agit pas d’une richesse créée par elle, appelant une imposition sur des bénéfices réalisés, mais d’une richesse temporairement mise à sa disposition et qu’elle restituera d’ailleurs aux actionnaires, si tout se passe bien, lors de sa dissolution. Cependant, Si les opérations d’apport en société sont en principe sans influence sur la détermination du bénéfice imposable de ces dernières, tel n’est toutefois pas le cas lorsque la valeur d’apport des immobilisations a été volontairement minorée par les parties afin de dissimuler une libéralité consentie par l’apporteur à l’entreprise bénéficiaire (CE, plén., 9 mai 2018, n° 387071, arrêt CERES).

Pour l’administration fiscale, la holding devait réintégrer dans ses bénéfices de l’exercice clos, la différence de valeur entre l’apport et la valeur vénale. Position adoptée tant par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise que par la cour administrative d’appel de Versailles en date du 28 février 2017 et après annulation de l’arrêt par le Conseil d’État, 26 février 2018, Sur renvoi, le 11 juillet 2019, la cour administrative d’appel de Versailles donna à nouveau raison à l’Administration.

Devant le Conseil d’Etat, la holding fit valoir que la minoration de cet apport s’est inscrite dans le contexte d’une restructuration en vue d’organiser le départ rapide du capital et de la gouvernance de la société (d’un des deux associés lequel) exigeait pour le rachat de l’ensemble de ses parts, la somme de 2,5 millions d’euros, somme qui n’a pu être financée que par l’entrée, à hauteur d’un tiers chacun, au capital de la société holding nouvelle, de deux partenaires souhaitant limiter leur apport en numéraire à une somme égale à une valorisation, elle-même minorée, des parts (de l’autre associé).

Pour le Conseil d’Etat : « Contrairement à ce que soutient l’administration, ces éléments permettent d’établir l’existence, pour (l’associé apporteur) d’une contrepartie pouvant justifier l’écart significatif entre la valeur des titres et leur valeur vénale et, par conséquent, l’intérêt de ce dernier à consentir un apport dans de telles conditions, dès lors qu’une telle valorisation permettait à la société de stabiliser au bénéfice de M. A… son actionnariat et sa gouvernance, de reprendre son développement entravé par le conflit entre associés et de financer le rachat des parts de M. B… au prix exigé par celui-ci tout en permettant à M. A… de se maintenir seul à la direction du groupe en détenant un tiers de la holding malgré un apport dont la valeur n’a été fixée qu’au cinquième de l’évaluation globale de la société ».

L’arrêt est intéressant, car en principe, l’existence d’un écart significatif de prix entre la valeur vénale et le prix de cession permet de présumer l’intention de s’appauvrir.

Cependant, l’intention de s’appauvrir n’équivaut pas exactement à celle de gratifier le bénéficiaire de l’acte. Il faut, selon le Conseil d’Etat, pour retenir la qualification de libéralité, prouver que la société s’est appauvrie dans l’intention d’octroyer un avantage pour le bénéficiaire de l’acte qui lui-même a manifesté son intention de recevoir cet avantage résultant des conditions de l’opération.

Il appartient donc à l’administration d’établir distinctement l’existence d’un avantage et la preuve d’une intention libérale.

En principe, une telle preuve ne peut résulter du seul constat de l’existence d’un avantage sans contrepartie. Cependant, cette intention est présumée lorsque les parties sont en relation d’intérêts (C.E., 09 mai 2018, préc.).

Mais cette présomption est simple. Or, comme le précise très justement le Conseil d’Etat récemment, pour l’évaluation de titres non cotés par comparaison avec d’autres transactions, « des cessions effectuées à des dates proches, voire le même jour, ne sont pas nécessairement comparables, parce qu’elles peuvent être assorties de contreparties différentes, ou parce que les différences de prix constatées peuvent être le reflet, non d’une volonté de gratifier, mais du « pouvoir de négociation » propre du vendeur et de son niveau de connaissance du marché et des données particulières à l’entreprise ». CE, 8e et 3e ch., 21 oct. 2020, n° 434512, concl . R. Victor

La présomption de libéralité se trouvait donc ici écartée par les circonstances particulières de l’espèce.

 

Par Michel Leroy – Mars 2021

Mots clefs

Intention libérale – assistance financière – charge de la preuve – prêt à titre gratuit – apport – sous-évaluation – donation-non

Thématique

Fiscalité – Libéralités

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